Les conditions des villes ont exclu la plante. La plante est insignifiance. La
plante est maladie. La plante salit les façades. La plante nest pas neutre.
Pourtant aller le long des tiges voir perler le duvet, filer sous une canopée chasser
la matière et ses développements variables. Pourtant brûler son âme pour cet os fin et
fragile qui tient lorchidée par sa nuque, ou pour le bel affût dune herbe
haute. Se lover dans ces langues de satin mat qui se décrispent en quelques heures de
leurs bogues de chlorophylle. Y chercher la douceur, ny trouver que des chuintements
astringents et des échafaudages de survivance. Cest la seule parole du végétal.
Sa seule guerre. On pourra les mettre dans des zoos botaniques comme des curiosités, on
pourra les couper, les reproduire, les croiser génétiquement, on pourra les cuisiner,
les dissoudre où même les fumer. Bref on peut leur nier toute existence
mais on
nen fera jamais que ce que la nature veut bien laisser faire. On veut la fleur
toujours douce, elle en aura peut-être laspect mais peu souvent la texture. Fleur
dont bien souvent la vocation première est de mentir à linsecte qui sera le
porteur potentiel de la descendance, usant de couleurs et de parfums vifs. Mais on y
retourne. Comme si le lien était nié depuis toujours puis soudain glorifié à
laube de son réel effacement, ce qui est un développement classique vous en
conviendrez. Lhumain détruit, éloigne, écarte dabord. Puis quand la
situation devient intenable, il reconsidère sa position et parfois lassouplit.
Cest à peu près ce qui le différencie du rat (qui, lui, se fout des fleurs). Le
rat ne se roule pas dans les fleurs en chantant La Vie En Rose. Le rat passe sa vie à
subsister et à se battre. Lhumain passe sa vie à subsister, à se battre, et à se
rouler dans les fleurs en chantant La Vie En Rose. On objectera que là aussi il détruit,
mais cest pinailler.
Retrouver des jeux denfants, parce que lenfant nétait pas aveuglé.
Faire siffler un brin, ou tirer le haut dun graminé entre le pouce et lindex
pour voir dans le petit amas de houppes une poule ou un coq. Se dire quun coquelicot
ressemble à un lit encore chaud dun vrai sommeil. Que si les humains avaient eu
plus de poésie que de cupidité, le Bouton dOr ils lauraient appelé Bouton
de Soleil.
Ces champs de petites pointes molles et jaunes bordées de grandes pales veinées qui
se courbent au vent. Ces déferlements de croissance qui font changer en une nuit la
couleur dun paysage du vert sombre au chiné de fuschia et dorange, pour peu
que nous ne soyons pas les daltoniens dune autre réalité. Cest toujours une
question de fréquences, et dun trait on passe de la couleur à la chaleur, de la
chaleur au son. Si les fleurs élèvent le ton cest dans un froissement de marée
qui fait claquer les focs des étendues de tulipes, les écoutilles des pissenlits perdus.
Et cultivée ou entre deux dalles, la fleur fait son job. Et fasciné tout autant que
terrorisé, lhumain croit la discipliner. Lotus et amarylis, pensée et
chrysanthème, fleur du mal ou nénuphard, tout ce que nous coupons repousse en nous.
Nicolas Deckmyn Bruxelles - Avril 2002
Ecrit pour le livre de Marie-Jo Lafontaine: -"Lost Paradise" (Bernhard Knaus
Edition) - été 2002
http://www.bernhardknaus-art.de
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